Pastoralisme : 45 propositions pour renforcer cette pratique d'élevage résolument moderne
Les députés Jean-François Rousset (EPR, Aveyron), Jean-Yves Bony (DR, Cantal) et Marie Pochon (EcoS, Drôme), ont réalisé une mission d’information sur le rôle du pastoralisme dans l’aménagement du territoire, les causes de son déclin et les conséquences pour le développement durable des territoires ruraux. De leurs travaux on émergé 45 propositions. On vous explique les plus impactantes.
C'est quoi le pastoralisme ?
Derrière le flonflon et le folklore des fêtes de l'estive qui animent les territoires ruraux au retour de la belle saison, le pastoralisme est une vraie pratique d'élevage dont l'intérêt économique pour les éleveurs et leurs filières est réel. Selon l'Association française du pastoralisme (AFP) créée en 1984, le pastoralisme regroupe l’ensemble des activités d’élevage valorisant par un pâturage extensif les ressources fourragères spontanées des espaces naturels, pour assurer tout ou partie de l’alimentation des animaux.
Autrement dit, le pastoralisme peut se pratiquer en montagne, mais pas seulement. Alors certes, cette pratique valorise les pâturages d'altitude mais aussi les parcours méditerranées, les milieux humides de Camargue ou encore des zones de marais. Ces aires de pâturages peuvent être situées à proximité des sièges d'exploitation agricole et on parle de "pastoralisme sédentaire" ou éloignées. Les parcours peuvent parfois être très longs s'organiser de manière régionale, voire inter-régionale et les trajets s'effectuer parfois en camion.
D'où le terme de transhumance qui est régulièrement associé au pastoralisme.
Fête de l'estive à Allanche dans le Cantal.
L’activité pastorale concerne 18 % des élevages en France (35 000 élevages pastoraux), 60 000 exploitations, 22 % du cheptel et s'étend sur une surface d'exploitation de 5,4 millions d’Ha, dont environ 2,2 millions sont constitués d’estives, d’alpages et de parcours de montagne.
Pour de nombreux territoires du sud de la France, toutes les exploitations d'élevage herbivore ont une composante pastorale et cette ressource peut classiquement représenter de 30 à 60 % de la ressource fourragère annuelle nécessaire au troupeau.
Grâce au pastoralisme, certains troupeaux sont alimentés à 100% de leur besoins une partie de l'année.
Le pastoralisme permet de dégager, bon an mal an, 8,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires global et 10 milliards d’euros de services non-marchands, pour plus de 250 000 emplois.
Pourquoi le pastoralisme est en danger en 2025 ?
Les rapporteurs, Jean-Yves Bony et Marie Pochon, ont rencontré à l’Assemblée nationale plus d’une centaine de personnes au cours d’une quarantaine d’auditions. Les rapporteurs se sont également déplacés dans le Massif central, les Pyrénées et le Vercors où ils ont pu rencontrer des acteurs qui font vivre le pastoralisme quotidiennement.
Si la France a su se doter dès le début des années 1970 d’une loi pastorale qui fait encore autorité, le pastoralisme demeure encore trop souvent « un angle mort des politiques publiques » regrettent les rapporteurs. À titre d’exemple, le droit de l’urbanisme ne reconnaît pas de zones pastorales spécifiques, pas davantage que la politique agricole commune ne reconnaît directement de pratiques pastorales différenciées au sein de l’élevage, et cela alors même que le foncier pastoral et les conditions de travail et de rémunération des éleveurs pastoraux et des bergers se heurtent à des défis très spécifiques.
En dépit de son importance historique et culturelle, le pastoralisme est aujourd’hui confronté à des défis d’une ampleur inédite, tant économiques qu’écologiques et sociaux constatent les rapporteurs. Les défis liés aux impacts du changement climatique, à la préservation des écosystèmes, à la prédation et au statut social des acteurs du pastoralisme, tels que les bergers, ou encore au partage de l’espace pastoral avec d’autres activités (forêt, tourisme, randonnée, chasse) exigent « une réflexion approfondie sur la manière dont le pastoralisme peut se maintenir et continuer d’être un atout pour le développement durable des territoires » affirment Jean-Yves Bony et Marie Pochon.
Le loup et l'agneau ne font pas bon ménage
Parmi les 45 recommandations, plusieurs concernent la lutte contre la prédation :
- Revoir les modalités de comptage de la population lupine à l’aide d’outils technologiques permettant la collecte de nouveaux indices (drones, photos etc.).
- Relever le plafond de prélèvement aujourd’hui fixé à 19 % si la nouvelle méthode de comptage de la population lupine ne s’avère pas suffisamment fiable
- Créer un système d’acomptes pour le versement des aides en faveur des mesures de protection
- Simplifier les procédures de demande d'aides, accélérer leur versement pour limiter les difficultés de trésorerie des éleveurs concernés par la prédation
- mieux anticiper l’installation des meutes et mieux anticiper l’adaptation des pratiques consécutives à l’installation pérenne des loups
Soutenir les groupements pastoraux
Les parlementaires souhaitent « donner davantage de moyens pour soutenir le fonctionnement des associations foncières pastorales et des groupements pastoraux » car la structure permet de mutualiser les coûts liés à la gestion des pâturages de manière équitable entre les membres.
Comment protéger les terres agricoles pastorales ?
En plus de « mieux reconnaître juridiquement le rôle central des commissions syndicales dans la gestion du pastoralisme et mieux les soutenir financièrement », le rapport suggère de « donner davantage de moyens aux Safer pour protéger les terres agricoles pastorales et organiser des partenariats avec les collectivités pour la rétrocession de foncier en vue de projets pastoraux » et « d’étendre de 5 à 20 ans le droit de préemption des Safer sur les bâtiments abandonnés ».
Majorer les aides du premier pilier de la PAC sur les premiers hectares
Les députés demandent aussi une meilleure prise en compte du pastoralisme dans les aides de la politique agricole commune (PAC) et de « sortir l’agriculture des accords de libre-échange qui exposent les éleveurs français à des conditions de concurrence non-soutenables ». Concrètement, ils suggèrent de supprimer le taux de chargement minimal de 0,2 UGB/ha pour les surfaces pastorales ligneuses. Pour soutenir les petites fermes pastorales, ils recommandent de majorer les aides du premier pilier de la PAC sur les premiers hectares.
Transhumance.
La transhumance, inscrite au Patrimoine immatériel de l'UNESCO
Le Comité intergouvernemental de sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de l’UNESCO, réuni à Kasane (République du Botswana) a validé le 5 décembre 2023, la candidature de « la Transhumance, déplacement saisonnier de troupeaux ». Cette candidature à l'UNESCO était présentée par l’Albanie, Andorre, l’Autriche, la Croatie, la France, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, la Roumanie et l’Espagne, dans le prolongement de la démarche faite en 2019 par l’Italie, la Grèce et l’Autriche. La décision du comité est le résultat d’un travail collectif de longue haleine initié par la France en 2019, par les acteurs du Pastoralisme et de l’Elevage regroupés au sein d’un Comité de Pilotage animé par le Collectif des Races Locales de Massif (CORAM). Ce comité réunit représentants de l’Etat, organismes agricoles et autres acteurs des territoires. En juin 2020, ce comité avait déjà abouti à une inclusion des savoir-faire et des pratiques de la transhumance en France à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel. Une première étape couronnée depuis mardi dernier, par un must : l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Jean-Luc Chauvel, éleveur en Haute-Loire, co-présidents du Comité de Pilotage au titre du CORAM a été l’une des chevilles ouvrières du dossier. Il revient sur le chemin parcouru : « En 2017, alors que se tenaient à Coblence en Allemagne, une rencontre des bergers d’Europe, nous avons initié l’idée avec l’Espagne, l’Albanie, la Croatie, l’Autriche, l’Italie et la Grèce de déposer un dossier à l’Unesco. Les italiens avaient déjà enclenché ce type de démarche, mais qui portait sur les chemins de la transhumance. Notre volonté était d’aller plus loin en faisant reconnaître la pratique dans son ensemble ».
Mais de quelles pratiques parle-t-on ?
La transhumance est un déplacement saisonnier de personnes et de leur bétail entre plusieurs régions géographiques ou climatiques. Chaque année, au printemps et à l’automne, des gardiens de troupeaux, hommes et femmes, organisent le déplacement de milliers d’animaux le long de sentiers pastoraux traditionnels. Ils conduisent les troupeaux à pied ou à cheval avec leurs chiens et, parfois, en compagnie de leurs familles. Pratique ancestrale, la transhumance découle d’une connaissance approfondie de l’environnement et implique des pratiques sociales et des rituels relatifs aux soins, à l’élevage et au dressage des animaux ainsi qu’à la gestion des ressources naturelles. Tout un système socioéconomique s’est développé autour de la transhumance, de la gastronomie à l’artisanat local en passant par les festivités marquant le début et la fin d’une saison. C’est bien cette alliance entre tradition et innovation « ayant un impact bénéfique sur les écosystèmes, préservant les races locales et améliorant la fertilité des sols et la biodiversité », qui a fait mouche auprès du jury.
Un plan de sauvegarde et valorisation de la transhumance
Dans le cadre de la démarche d’inscription au PCI de l’humanité, un plan de Sauvegarde et de Valorisation de la Transhumance réalisé par le Comité de Pilotage animé par le CORAM a été également élaboré. Il intègre notamment une analyse des risques et des menaces pesant sur la continuité de cette pratique. « Ce plan constitue ainsi un programme opérationnel en faveur de la Transhumance devant permettre d’insuffler une politique dynamique en faveur de la connaissance, de la promotion, de la valorisation et de la transmission de cet héritage culturel y compris avec nos homologues d’autres pays grâce à la mise en place de programmes de coopération internationale. S’engager à préserver la transhumance, cela amènera forcément les Etats à prendre des décisions plus fermes qu’aujourd’hui vis-à-vis notamment de la prédation du loup », résume Patrick Escure, éleveur dans le Cantal, représentant de Chambre d’agriculture France au comité de pilotage.
2026 : année mondiale du pastoralisme
2026, année internationale du pastoralisme.
Les Nations unies ont adopté le 15 mars 2022 la résolution proclamant 2026 Année Internationale des Parcours et des Éleveurs. Le texte souligne les liens entre le pastoralisme et les différents écosystèmes, les cultures et les connaissances traditionnelles de coexistence avec la nature. Il reconnaît également l’importance de maintenir des pâturages bien gérés pour assurer la durabilité du pastoralisme et la croissance économique liée à ces pratiques. L'année Internationale des Parcours et des Éleveurs (IYRP) en 2026 devrait contribuer à sensibiliser aux bénéfices apportés par le pastoralisme mais aussi aux défis auxquels est confronté le secteur de l’élevage extensif. En particulier, la résolution invite les États membres des Nations unies à soutenir davantage les pratiques liées à la gestion durable des terres, à la restauration des écosystèmes et à l’accès aux marchés. Point d'orgue de cette année mondiale, un temps fort d'ampleur international sera organisé dans le cadre du Sommet de l'Elevage à Clermont-Ferrand.