L’agriculture urbaine peut-elle soutenir l’agriculture rurale ?

Publié le 18 octobre 2024 par Clément Fonty

L'évolution démographique mondiale projette que d’ici 2050, près de 70 à 80% de la population mondiale vivra en zone urbaine. Ce phénomène d'urbanisation, déjà en cours, s’accompagne d’un exode rural qui s’intensifie et augmente le phénomène de désertification médicale, fermetures des petits commerces, contribuant aussi au cercle vicieux. Le vieillissement des agriculteurs, qui peinent à trouver des successeurs, aggrave cette situation, malgré les dispositifs innovants d’aide à l’installation pour les jeunes agriculteurs. En France, selon l’Insee 55 % des exploitants partiront à la retraite dans les dix prochaines années1 sans perspective de relève, menaçant la continuité de l’agriculture rurale.

En parallèle, les villes, confrontées à une pression croissante sur leurs systèmes d'approvisionnement alimentaire, redécouvrent l’importance de la résilience. Les crises récentes, notamment la pandémie de Covid-19, ont révélé la vulnérabilité des chaînes de distribution. Avec des supermarchés qui n’auraient que “deux jours de stock s'il y a des problèmes sur les flux”, selon Stéphane Linou, auteur et consultant, spécialiste du rapport essentiel entre l'alimentation et la sécurité. Ce qui signifie qu’un blocage des transports pourrait rapidement provoquer une crise alimentaire en zone urbaine. Face à ce constat, l'agriculture urbaine et périurbaine est en plein essor, réinventant la ceinture verte qui entourait autrefois nos villes.


L'agriculture urbaine : un retour aux sources et innovations

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l’agriculture urbaine n’est pas une innovation moderne. Avant la révolution industrielle et l’essor du pétrole, de nombreuses villes pratiquaient une agriculture de proximité pour nourrir leurs habitants. À Paris en 1830, 16% de la surface était occupée par des maraîchers2. Ce modèle a progressivement disparu avec l’éloignement des terres agricoles et l’urbanisation galopante. Aujourd'hui, dans un contexte de raréfaction des ressources énergétiques et d’une prise de conscience environnementale, cette forme d'agriculture fait son grand retour.

On assiste à une multiplication des initiatives agricoles en ville : agriculture verticale, hydroponie, aquaponie, culture sur les toits… La ville devient un véritable laboratoire d’expérimentation agricole. Les technologies modernes permettent de cultiver en optimisant l'espace et en réduisant les intrants, rendant ces fermes urbaines très productives. Blanche Duncombe, créatrice de la Pousseraie, une ferme en aquaponie dans des anciens parkings, souhaite aussi combattre une idée reçue selon laquelle la culture hors sol serait énergivore. “La consommation générale de l'ensemble de la ferme est très faible. [..] comparé à une entreprise classique, on est même clairement en deçà.”

Si les premières initiatives étaient souvent modestes, de plus en plus de projets entrepreneuriaux voient le jour, visant à nourrir une partie de la population locale.


Une réponse à la crise alimentaire et environnementale

Au-delà de la production de nourriture, l'agriculture urbaine joue un rôle fondamental dans la sensibilisation des citadins aux enjeux alimentaires. Les fermes urbaines, souvent initiées par des associations ou des coopératives locales, permettent aux habitants de renouer avec la terre, de mieux comprendre les cycles de la nature et de réfléchir à leur consommation. Cette reconnexion avec l’environnement pourrait être une clé pour susciter de nouvelles vocations agricoles chez les jeunes générations.

En effet, l'agriculture urbaine ne se limite pas aux villes. Les "néo-agriculteurs", ayant expérimenté des méthodes innovantes et parfois technologiques en milieu urbain, tendent à migrer vers les campagnes pour y implanter des fermes maraîchères. Ce transfert de compétences et de savoir-faire pourrait ainsi revitaliser les zones rurales, en y apportant des pratiques durables et résilientes. Les synergies entre agriculture urbaine et rurale sont déjà visibles et pourraient représenter l’avenir de notre système alimentaire.


L’importance de la coopération ville-campagne

L’erreur serait de penser que l'agriculture urbaine et l'agriculture rurale sont en concurrence. Bien au contraire, ces deux systèmes sont complémentaires. En développant des circuits courts entre les villes et les campagnes, et en mettant en place des collaborations entre ces deux espaces, il devient possible de créer un modèle plus résilient, capable de répondre aux défis alimentaires et climatiques à venir.

Les fermes urbaines peuvent soulager une partie de la pression qui pèse sur les campagnes, tout en permettant aux citadins de se reconnecter à la nature et à la production alimentaire. Sur la ferme urbaine de Beaumont, par exemple, une commune de la métropole de Clermont-Ferrand, ce sont 335 enfants qui ont été sensibilisés en 2023.

De leur côté, les fermes rurales et l'élevage continueront à jouer un rôle majeur dans la production de denrées de base, tout en intégrant progressivement certaines des innovations développées en milieu urbain.


Un modèle hybride pour demain

L'agriculture de demain sera hybride, alliant tradition et innovation. Les fermes rurales devront se moderniser en adoptant certaines des technologies éprouvées en ville, tandis que les fermes urbaines devront s’étendre pour nourrir une population croissante. Ce dialogue permanent entre la ville et la campagne sera essentiel pour assurer une résilience alimentaire durable.

Finalement, l’agriculture urbaine pourrait bien jouer un rôle dans l’avenir de l’agriculture rurale, non pas en la remplaçant, mais en l’enrichissant de nouvelles pratiques, de nouvelles technologies, d’une nouvelle vision du monde et nous l’espérons en lui offrant de la main d’œuvre ! En redéfinissant les relations entre ville et campagne, nous pourrons espérer un avenir alimentaire plus durable et équitable.

(1) Source INSEE : Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d'hommes

(2) Cultiver la ville : Les Verger Urbains